Hadopi: l'indemnisation des ayants-droits, une méconnaissance grave des principes fondamentaux du droit européen.

Publié le par Adrien Ramelet

 

Une fois n'est pas coutume, le mépris exercé par les Etats à l'encontre du droit européen a encore frappé. Nombreux sont les Etats pointés du doigt pour le long délai de transposition des directives européennes en droit interne. Cette fois, il s'agit d'une méconnaissance grave des principes du droit européen, c'est-à-dire d'une violation future et supposée du droit européen.

 

Pareille situation concerne le dispositif d'indeminisation des ayants-droits via les dommages et intérêts dans le cadre de l'Hadopi.


Il y a quelques jours, les députés étaient amenés à se prononcer sur la manière dont les ayants-droits pourront obtenir ces dommages et intérêts. Il leur faudra passer par le biais de l'ordonnance pénale, soit une voie plus souple et surtout plus rapide que toute autre procédure. Il est vrai qu'à l'heure où le fonctionnement de notre Justice est loin d'être rapide, l'opportunité était à ne pas louper pour les députés. C'est donc chose faite. Sous le couvert d'une supposée amélioration du fonctionnement de la Justice, il ne fallait surtout pas rajouter une énième procédure qui risquerait d'allonger encore plus la vitesse de fonctionnement de notre Justice.


Pourtant, à y regarder de plus près, l'ordonnance pénale présente de nombreux inconvénients.

 

 

Pas de contradictoire: qu'en pense la Cour Européenne des Droits de l'Homme?

 

Ce qui caractérise avant tout l'ordonnance pénale régie par les articles 524 et 525 du code de procédure pénale, c'est son mode de fonctionnement. Concrètement, le juge va d'abord recevoir le dossier et les réquisitions du ministère public. C'est donc le ministère public qui choisi au préalable ce type de procédure. Une fois qu'il a reçu le dossier ainsi que les réquisitions du ministère public, le juge va trancher le litige, le fond du droit. La décision qu'il rendra ne sera pas rendue par le biais d'un jugement mais par le biais de cette fameuse ordonnance pénale.

 

En apparence, rien ne semble choquer dans ce type de procédure, qui constitue un moyen rapide de résoudre certains litiges. Rappelons que pour l'heure, ce type de procédure n'est prévu que pour les contraventions dites de police.

 

Cela étant, à y regarder de plus près, c'est durant la phase d'étude du dossier par le juge qu'apparaissent plusieurs éléments troublants. Au premier rang de ces éléments, nous pouvons observer qu'il n'y a aucune "rencontre" entre l'auteur de l'infraction et le juge. Ce dernier ne statuant que sur le seul examen du dossier et des réquisitions du ministère public. Pas de débat donc entre le juge et le prévenu. Ce dernier ne sera pas en mesure de s'expliquer sur l'infraction commise, et ne pourra donc pas se défendre devant le juge.

 

C'est là que le bât blesse. L'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme prévoit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi... »

 

Tout personne a donc droit à un procès équitable, ce qui implique la possibilité pour le prévenu de comparaitre devant un tribunal, et de se défendre des accusation portées à son encontre devant ce même tribunal.

 

Choisir l'ordonnance pénale dans le cadre de l'indemnisation des ayants-droits, c'est donc méconnaitre profondément ce droit à un procès équitable. Si ce dispositif venait à être maintenu, nul ne doute que des recours seraient portés devant la Cour de Strasbourg, avec probablement une issue positive, même si notre Conseil constitutionnel tend à faire de la résistance sur ce sujet, n'y voyant rien à redire à l'ordonnance pénale.

 

A cet égard, les critiques quant à l'ordonnance pénale ne manquent pas. Laure Marino, professeur à l'Université de Nancy résume parfaitement la situation: « Le choix de l' ordonnance pénale est certes justifié par le caractère massif du phénomène. »(L.Marino La loi du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (dite HADOPI 2), D. 2010 p.160).

 

Dit autrement, au nom de la rapidité de la Justice, de l'accélération de son fonctionnement, le risque est pris de sacrifier les droits de la défense, et le droit à un procès équitable...

 

 

Pas de motivation pour l'ordonnance pénale

 

Toujours dans la lignée de ce droit à un procès équitable, se trouve la question de la motivation de la décision rendue par le juge. Dans le cadre de l'ordonnance pénale, ce dernier n'a pas à motiver sa décision. Là encore, où est le respect du droit à un procés équitable? Comme souvent, s'asseoir sur les principes du droit européen est devenu la règle pour les Etats. Quitte à risquer une sanction de la part de la Cour de Strasbourg.

 

Nous nous souvenons du débat récurent sur la motivation des arrêts d'assises, qui n'a pas manqué d'être particulièrement vigoureux ces derniers mois. Le Conseil constitutionnel ayant considéré le 1ier avril dernier (Cons. Const. 1 avr. 2011, n°2011-113/115 QPC) que l'absence de motivation des arrêts d'assises n'était pas contraire à la Constitution.

 

Rappelons tout de même que le Conseil constitutionnel appelé à se prononcer sur la consitutionnalité de la loi Hadopi II (Cons. const., 22 oct. 2009, n° 2009-590 DC) avait jugé que le principe de l'ordonnance pénale ne posait aucun problème en matière de répression des infractions de contrefaçon commises grâce à internet. Il avait toutefois ajouté qu'une telle procédure dérogatoire était possible à condition « que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable. »

 

Dans le cas de l'indemnisation des ayants-droits par le biais de l'ordonnance pénale, aucune garantie de ce type ne semble avoir été prévue. Et c'est fort dommage, car le mécanisme de l'ordonnance pénale gagnerait à comporter des garanties aux droits de la défense, et plus particulièrement au droit à un procès équitable. Mais cela, c'est une autre histoire...

Publié dans Droit

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